«Viva la libertá!»
C’est avec ce cri que Casanova/John Malkovich s’écroule sur scène au tout début du film. L’orchestre s’arrête de jouer, l’inquiétude règne, comédiens et techniciens prodiguent les premiers secours, un médecin sort du public pour proposer son aide, un gros plan de l’homme pris de convulsions est projeté en arrière-plan. Il n’est pas clair si c’est Casanova, le personnage, ou John Malkovich, l’interprète, qui a une attaque. Mais une cantatrice déguisée en infirmière arrive et transforme la scène en Commedia dell’arte: le spectacle continue! On comprend que ce film prendra toutes les libertés dans le mélange des genres pour affirmer: tout est du Cinéma!
Le projet The Giacomo Variations m’occupe depuis plus de 3 ans. En version théâtre, il visait déjà à dépasser les frontières du genre. La version film, Casanova variations, que nous vous présentons est pour moi et mes partenaires artistiques l’aboutissement ultime de cette expérience hors du commun. Ce projet est un mélange de cinéma, musique, théâtre, littérature et histoire qui pille les plus grands chefs-d’œuvre de l’0péra – à savoir Le nozze di Figaro, Don Giovanni et Così fan tutte - ainsi que le trésor immense que Giacomo Casanova nous a légué avec son manuscrit autobiographique de 5000 pages.
Le lien entre Casanova, Mozart et Da Ponte est évident dans la mesure où, non seulement ils se connaissaient, mais ils vivaient chacun en homme libre et artiste indépendant. Sans ressources stables, l’insécurité existentielle était leur quotidien, pourtant ils se sentaient à égalité avec l’aristocratie. En effet, bien qu’ils ne soient pas issus de la noblesse, ils revendiquaient leur totale liberté. Quand, vers le milieu du film, Giacomo s’insurge contre les aristocrates, menaçant d’ôter la vie à ceux qui lui manqueraient de respect, on saisit combien cet homme fut précurseur, annonçant la nouvelle ère.
Le scénario fait de la liberté un véritable leitmotiv. En tant que réalisateur, j’ai voulu imprimer cette revendication à la liberté sur la structure du film. D’où mon désir de changer sans cesse de genre et de transposer des œuvres canonisées dans un autre contexte, de les employer comme matériaux sous une nouvelle forme. Nous allons capter du Théâtre pour le Cinéma d’une manière presque documentaire pour renforcer l’impression que tout se passe à l’instant, que rien n’est mis en scène, que c’est la vraie vie qui regarde la scène depuis les coulisses.
Pourtant, nous serons dans le jeu. Nous vivrons en un temps concentré des événements qui se sont étalés sur sept décennies, reconstitués à partir de souvenirs restitués ou inventés. Les chanteurs se mêleront aux acteurs, les décors du théâtre façonneront, les costumes transformeront, les voix enchanteront et, par-dessus tout, sonnera la musique la plus légère, la plus profonde, la plus intelligible qui soit. Et, sans transition perceptible, nous nous retrouverons complètement ailleurs, au XVIIIe siècle, dans un Château de Bohême, où nous assistons à la rencontre d’Elisa et de Giacomo.
Ce sont les deux mêmes que sur la scène du théâtre, mais autour d’eux, tout est différent. Ici, personne ne chante, les choses sont plus simples et moins grandioses. L’action se concentre sur le grand duel entre Elisa et Giacomo, les deux idéalistes désillusionnés. Nous les regardons de près faire connaissance, se frôler, s’impressionner, se repousser et finir par s’apprivoiser. C’est une rencontre qui exacerbe tous les espoirs et préjugés qu’ils ont accumulé dans leur vie. Il est presque trop tard… mais n’est-il jamais trop tard pour partager un moment d’intimité et de compréhension mutuelle?
Au début du film, lorsqu’Elisa surgit dans sa vie, Casanova vit depuis 15 ans comme bibliothécaire d’un aristocrate dans ce château oublié au bout du monde. Elle apparait comme un être étrange, venu d’un monde lointain; un être qui se serait égaré dans son monde à lui, un monde oublié de Dieu où il mène une vie ennuyeuse et solitaire. C’est une femme belle, cultivée et sûre d’elle, écrivaine, qui a acquis réputation et indépendance financière avec son livre-révélation sur le célèbre imposteur Cagliostro. Si elle vient rendre visite à Giacomo, c’est peut être pour écrire sur lui aussi, lire ses mémoires et les publier ?
Ainsi, plane le danger qu’Elisa ait l’intention de tourner Casanova en ridicule, comme elle l’a fait auparavant avec Cagliostro, pour surpasser le succès de son premier livre. D’autant plus que Cagliostro, en tant que libertin, est par beaucoup d’aspects l’alter ego de Casanova. Dans ce contexte, la rencontre entre Elisa et Giacomo prend des allures de duel. Giacomo, qui n’a plus rien à perdre, aborde ce combat comme le dernier de son existence. Il lutte pour sa postérité, pour le jugement du monde sur sa vie… mais cherche aussi à séduire cette femme et conquérir son coeur.
Mes nombreuses collaborations avec John Malkovich et Martin Haselböck ces 4 dernières années ont intensifié notre relation de travail et ont permis de développer notre projet de film. Après nos aventures réjouissantes pour le spectacle The Infernal Comedy, la pièce The Giacomo Variations a été un véritable défi. Si dans le cadre de la Comedy, les exigences scéniques et musicales étaient assez simples, il a fallu des mois pour parfaire les enchaînements scéniques des Variations.
Aujourd’hui nous sommes prêts à réaliser ce film que nous avons discuté et travaillé en détail, après l’avoir mis à l’épreuve sous forme de spectacle devant un public. En construisant le scénario, nous avons constamment cherché à bouleverser les frontières de genre, à installer une intimité dans les scènes, une légèreté et une fluidité musicale, afin de raconter l’histoire fascinante de cet européen moderne. Et, s’il est vrai qu’il y a eu une multitude de films sur Casanova, et que de grands acteurs tels que Sutherland, Mastroianni, Curtis ou encore Ledger ont interprété le Vénitien légendaire, aucun d’entre eux n’a pourtant eu la manière parfaitement naturelle qu’a John Malkovich de se mettre devant la caméra et d’affirmer: «Je suis Signore Giacomo Casanova! »
Michael Sturminger