Comment avez-vous rencontré Laura Schroeder ?
Je jouais au théâtre, à Paris, une pièce de Rainer Werner Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant, mise en scène par Thierry de Peretti, que Laura est venue voir sur les conseils de Martine de Clermont-Tonnerre, la coproductrice française du film. Nous nous sommes rencontrées le lendemain dans un café et tout a commencé comme ça. Quelque chose est passé tout de suite entre Laura et moi. J’attendais un rôle avec la gravité de Catherine. Peu après, on a fait ensemble une lecture du scénario, puis tout est allé très vite…
Parlez-nous de votre personnage. Qui est Catherine ?
C’est un rôle fort, riche, intense. Le genre de personnage qu’on ne cesse d’attendre lorsqu’on est comédien. Catherine a une trentaine d’années, c’est une jeune femme fragile qui revient dans sa ville d’origine et y retrouve sa fille Alba, qui a désormais une douzaine d’années. On comprend qu’elles ne se sont pas vues depuis une très longue période pendant laquelle Alba a été élevée par la mère de Catherine, Elisabeth. Le film commence quand Catherine décide de renouer avec sa fille.
C’est l’histoire d’un apprivoisement, d’une maternité frustrée et complexe. Catherine est un personnage assez subversif et c’est ça qui m’a plu dès le départ. C’est une femme qui a complètement délaissé son rôle de mère par faiblesse. Elle est un peu dans la marge, n’a jamais su s’adapter à la réalité. Elle a quelque chose de très enfantin et, en même temps, on a l’impression qu’elle a vécu plusieurs vies. Elle se retrouve face à Alba qui a désormais une douzaine d’années. Catherine, elle, a la trentaine. On comprend qu’elle a eu sa fille trop jeune et qu’elle n’a pas pu assumer son rôle. Alba lui renvoie en plein visage sa culpabilité. La communication est loin d’être facile, c’est presque un combat pour Catherine qui oscille en permanence entre la douceur et la dureté.
Comment avez-vous appréhendé le personnage ? Quel a été votre travail de préparation avec Laura Schroeder ?
Je ne fais pas partie des actrices qui construisent leurs personnages consciemment, ce n’est pas ma façon de travailler. Les rôles naissent toujours de façon mystérieuse et inconsciente chez moi. Lorsque je rencontre une réalisatrice avec un projet aussi intime que Barrage, mon rôle est avant tout de me fondre dans son univers, de me mettre totalement à son service. Laura m’a donné peu d’éléments sur le passé du personnage, et le film est d’ailleurs parsemé de secrets, de non-dits. Catherine est un personnage qui peu à peu renaît de ses cendres, qui passe de l’ombre à la lumière. Laura m’a montré des photos, fait écouter des musiques qui m’ont plongée dans une humeur particulière. C’est par ce biais-là qu’est née Catherine.
Il y a une forme de vérité dans Barrage en ce qui concerne les rapports humains. C’est un sentiment qui semble parfois dépasser la fiction. On ressent beaucoup d’émotions différentes en vous regardant jouer avec la jeune Thémis Pauwels qui incarne votre fille (Alba).
Jouer avec un enfant comme Thémis a été une expérience extraordinaire. Pour en avoir un moi-même, je le vois, les enfants sont continuellement à la recherche de la vérité, ils nous ramènent vers l’essentiel. L’acteur est un être complexe, évidemment avec une conscience forte de lui-même, il a peur. L’enfant est au-delà de ça, et de fait Thémis a fonctionné sur moi comme un miroir. Je pense que c’est de là que vient cette sensation de réel, cet éventail d’émotions dont vous parlez. Les enfants sont vraiment les meilleurs partenaires du monde.
Sans oublier que votre propre mère dans la vie, Isabelle Huppert, joue également votre mère dans le film. Là on peut vraiment dire que la réalité dépasse la fiction.
Oui, sur ce point-là,j’ai le sentiment qu’au fond, ça ne me concerne pas. J’avais déjà fait l’expérience de jouer avec ma mère. Le lien filial est un fait. Le cinéma, et le fait de jouer ensemble, amène évidemment des choses qui nous échappe, et c’est bien ainsi.
Sur un plan global, quel souvenir gardez-vous du tournage de Barrage ?
Je n’avais jamais ressenti une telle densité. Le personnage ne me quittait pas. C’était constant, chaque respiration, chaque souffle était lié à Catherine.
Le décor a énormément nourri l’atmosphère du tournage. La nature dégageait une vraie force. L’eau, le vert, ces arbres, ce chalet. C’était à la fois un espace vaste, ouvert ; et pourtant c’était aussi un huis clos. Catherine et Alba sont seules au monde, au milieu de nulle part…
Laura Schroeder est une réalisatrice luxembourgeoise, un pays dont on connaît peu la production cinématographique. Comment étaient vos rapports sur le plateau ?
Laura est très exigeante, très organisée, elle sait pertinemment où elle va. Notre collaboration était formidable car en dépit de cette rigueur, elle me laissait une grande liberté de jeu, d’expérimentation. Nous avions toutes les deux l’espace qui nous était nécessaire pour travailler, pour chercher.
Finalement, c’est un film peu bavard qui a un rapport très particulier à la musique, à l’atmosphère. Barrage a une vraie identité, dont les influences viennent sans doute d’Europe du Nord. Ça vient aussi de ce pays. Le Luxembourg a beau être à deux heures de Paris, c’est vraiment une culture très différente. Le film a des couleurs vertes, bleues… Heureusement que le cinéma n’a pas de frontières ! Pour moi qui suis Française, c’était extrêmement gratifiant de faire Barrage avec tous ces talents venus d’Europe. Le cinéma, c’est formidable pour cela, ce genre d’expériencespermet un échange de cultures, d’atmosphères, d’influences, d’espace. C’est pour ça que je suis actrice, pour aller vers l’infini, vers l’inconnu, vers l’étendu du monde.