Tiago Guedes : "La tentation de s'en prendre aux plus faibles est universelle."

Dans son film “Traces”, en salles, le cinéaste portugais met en scène un terrifiant rituel auquel sont soumis les adolescents d’un village, pour mieux ausculter les racines de la violence. Rencontre avec un homme de théâtre et de cinéma.


D’où vient ce rite initiatique violent que vous filmez dans Traces ? 

Nous l’avons inventé. Nous nous sommes toutefois inspirés de traditions et de rituels païens observés non seulement dans le nord du Portugal, mais aussi dans d’autres pays européens. Nous voulions dépeindre un phénomène générique de transmission de valeurs virilistes, pour montrer que le rapport à la violence, la tentation de s’en prendre aux plus faibles sont universels.


Vous avez beaucoup travaillé pour la scène avant de réaliser des films. Quel est l’apport du théâtre à votre travail de cinéaste ? 

En premier lieu, le travail avec les acteurs. Nous partons en résidence collective avec eux avant le tournage, nous discutons longuement ensemble du scénario et leurs remarques m’amènent fréquemment à le modifier. Nous répétons également beaucoup, dans un rapport de confiance réciproque : plus vous faites confiance aux acteurs, plus le travail devient simple, plus vous pouvez aller loin. Je crois beaucoup à ce processus créatif, qui se poursuit d’ailleurs pendant le tournage même, pendant lequel les dialogues peuvent encore être modifiés. L’autre apport de la scène, c’est le sens du temps. Jouer une pièce au théâtre, du début à la fin c’est comme si vous tourniez une seule prise que vous regardez en direct. De plus en plus, j’essaie d’apporter à mon cinéma ce sens du temps, et de ne pas trop le manipuler par le travail sur l’image puis lors du montage.


“La seule chance pour que l’industrie du cinéma portugais puisse progresser serait de parvenir à exporter ses films.”


Où en est le cinéma portugais ? 

Dans une situation qui me semble assez singulière par rapport à d’autres
cinématographies : nous avons toujours une grande liberté, avec une grande variété de cinéastes, mais, revers de la médaille, nous avons très peu d’argent pour tourner. Tout le monde se bat beaucoup pour continuer à travailler, mais j’ai l’impression qu’il en a toujours été ainsi. Les films portugais d’auteur arrivent encore à se faire une place dans les festivals internationaux. Mais le cinéma plus commercial n’a pas le marché qui lui permettrait de prendre de l’importance. Le Portugal est un très petit pays, la seule chance pour que l’industrie du cinéma locale puisse progresser serait de parvenir à exporter ses films.


Les plateformes de streaming peuvent-elles contribuer à son développement ? Font-elles déjà appel aux cinéastes portugais ? 

Je ne sais pas ce qu’il en est pour mes collègues. Mais j’ai réalisé la première production Netflix pour le Portugal, la série Glória, en ligne depuis 2021 [une série d’espionnage qui se déroule en 1968, ndlr]. Netflix n’est pas intervenu sur le plan créatif, hormis sur quelques points de détail dans le scénario – peut-être parce que mon employeur et principal interlocuteur était une compagnie de production indépendante qui faisait l’intermédiaire avec la plateforme. C’est bien de pouvoir travailler dans un environnement financier plus confortable que d’habitude. Je crois que Netflix voulait faire son entrée au Portugal avec une œuvre de qualité très professionnelle, bien produite et à l’image léchée, d’où la confiance et la liberté qui m’ont été accordées. Mais j’ai aussi senti que sur les productions suivantes, le contrôle risquait d’être plus fort.


https://www.telerama.fr/cinema...

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