Comment est née l’idée du film Poet ? Vous identifiez-vous au personnage principal d'une manière ou d'une autre ?
L'idée initiale du scénario m’est venue en lisant une nouvelle d'Herman Hesse, Soirée d'auteur. Je suis tombé dessus par hasard et cela a provoqué en moi l'envie d'un film. Bien sûr, je me sentais proche du personnage, car c'est un artiste. J'ai même pensé que je pourrais faire de ce personnage un réalisateur en visite dans une petite ville pour une projection, et se rendant compte que personne n’est venu voir son film... Mais j’avais déjà fait un film sur un réalisateur, La Route, et j'ai pensé qu'il serait plus intéressant de raconter cette fois ci l’histoire d’un poète. Je m'identifiais à lui ; ses pensées et ses préoccupations sont celles de tout créateur.
Pourquoi avez-vous décidé d'inclure l'histoire de Makhambet Utemisov ?
Makhambet Utemisov est un poète légendaire du 19e siècle. Avec Isatay Taymanov, il a mené des groupes rebelles dans la steppe kazakhe, luttant à la fois contre les troupes du Tsar et celles du Khan-Jangir. Isatay est mort lors d'un affrontement avec les forces impériales russes. Makhambet a survécu pendant un certain temps, en se cachant des autorités. Pendant cette période, il a écrit de nombreux poèmes, mais plus tard, il fut également tué. J'ai décidé de combiner ces deux histoires pour qu'elles se complètent entre elles. J'ai également pensé qu'il pouvait être intéressant de passer d'un siècle à l'autre et de comparer.
Pensez-vous que la poésie est un art qui est en train de devenir obsolète ?
Les gens écrivent encore des poèmes, nos mots n'ont pas disparu d'un seul coup. Là où il y a une langue, il y a de la poésie, Mais l'humanité se dirige lentement vers une langue unique, probablement l'anglais. Les Kazakhs se vantent que leur dialecte possède un vocabulaire riche et étendu, mais de nos jours, il s'agit plutôt d'un désavantage. Les langues riches et complexes sont perdantes face à l'anglais. Si vous traduisez deux pages de kazakh en russe, vous obtenez une page et demie. Si vous les traduisez en anglais, vous en obtenez une seule. C'est la force de la langue anglaise. Avec une syntaxe robotique, idéale pour les ordinateurs. Claire et concise. J'aime les haïkus, mais pour moi, ils ne sont pas de la poésie au sens littéraire du terme et ressemblent davantage à des courts métrages.
Le Kazakhstan va adopter un nouvel alphabet, en remplacement du cyrillique russe, que vous provoque cette décision ?
J'ai moi-même étudié dans une école kazakhe et je ne parlais pas très bien le russe. J'écrivais des essais, des nouvelles en kazakh. Je sais et je sens qu'il n'y a pas une envie particulière pour changer d'alphabet. C'est un problème artificiel, créé pour des raisons politiques. Maintenant que tout le monde sait lire et écrire, changer d'alphabet, s’avère comme changer de baskets en plein milieu d’une course. On pourrait tout simplement en arriver à balayer 70 ans de production littéraire, d'historiographie, d'archives... Un vrai désastre. J'espère que nous abandonnerons cette idée. C'est arrivé en Ouzbékistan et mes amis me disent que cela a alimenté un chaos total.
Dans le film, Didar parle à peine. Pourquoi avez-vous choisi cette approche ? Comment s'est passée votre collaboration avec Yerdos Kanaev ?
Le personnage est plutôt un introverti, une personne créative. Il a tendance à moins agir, à moins parler, absorbé par sa vie intérieure. Mais l'entourage est vraiment important : on peut créer un personnage profond et cohérent même si seuls les autres parlent. Nous avons d'abord pensé à un autre acteur, un Kazakh, diplômé d'une école kazakhe. Mais il venait d'Almaty, c’était un homme de la ville, et cela se voyait dans ses yeux qu'il était russophone. Puis nous avons connu le confinement et trois mois de stagnation. Par hasard, à cette époque, j'ai vu sur Internet le spectacle d'un groupe folklorique de Shymkent. L'un des chanteurs a attiré mon attention. Nous l'avons invité et j'ai senti qu'il correspondait parfaitement au rôle.
Un des moments forts du film est celui avec la jeune fille seule dans la salle de spectacle où le poète est invité.
L'actrice est d'ailleurs une de mes étudiantes de cinéma. L'épisode du bégaiement qui s'arrête à la lecture d'une poésie est inspiré de Hesse. D’ailleurs ce phénomène arrive souvent. Nous avions un acteur qui bégayait dans la vie réelle mais jamais devant la caméra.
Quelle a été votre collaboration avec le directeur de la photographie Boris Troshev ? Où avez-vous tourné ?
J'ai travaillé avec Boris Troshev sur la plupart de mes films. C'est un très bon technicien, qui s'engage toujours à fond. Nous avions des décors contemporains et historiques, avec beaucoup de lieux différents. Mais d'abord, nous sommes allés au mausolée de Makhambet Utemisov. Le climat y était rude, glacial. Nous y avons tourné nos dernières scènes, mais d'une certaine manière, nous étions aussi venus demander la bénédiction de Makhambet. C'est ce que j'ai écrit dans le livre d'or sur place, et je veux croire que cela nous a aidés. Nous avons eu de la chance, trouvé un nouvel acteur, respecté tous les délais…
Quelle importance accordez-vous à l'utilisation de l'humour dans votre film ?
L'humour est un outil précieux qui se manifeste dans plusieurs détails du film, bien que celui-ci ne soit pas précisément amusant... L'humour est un petit acte de créativité, bien que l'on dise que de nombreux grands hommes n'avaient pas de sens de l'humour. Certains disent que Dostoïevski ne faisait ni de blagues ni ne les comprenait !
Extraits d’une interview de Panos Kotzathanasis pour Asian Movie Pulse (22 décembre 2021)