Les prémices de cette histoire étaient en moi depuis longtemps :
Il y avait une histoire vraie, qui m’avait frappé : un groupe de jeunes contestataires qui avaient décidé de passer à la lutte armée et qui dans ce contexte, avaient été amenés à exécuter un des leurs.
Et une photo que j’ai toujours sur ma table de travail : mon père, jeune, se tient près d’une rivière, là où j’ai appris à nager, avec d’autres membres de ma famille et me porte, moi, petit, dans ses bras. Je trouve cette photo incroyable : chaque fois que je la regarde, mon père est toujours jeune, et je suis toujours en train d’apprendre à nager.
C’est de ces deux éléments que je me suis inspiré pour « Photo ».
Quand j’ai commencé à écrire, je suis parti de l’histoire de deux morts sur une photo, qui renvoyait à un contexte politique fort, celui des années 70, faisant écho à mon propre exil et à mes interrogations sur cette époque.
Puis peu à peu, je me suis attardé sur l’idée des vivants qui portent en eux les morts, leurs proches mais pas seulement, et l’histoire d’Elisa est devenue centrale.
La ressemblance physique entre Elisa et sa mère crée un pont entre deux époques, deux pays, entre ses « pères », entre photographie et cinéma, au moment-même où sa mère meure et où le mariage et l’idée que sa vie va se figer l’effrayent.
A la fin du film, elle a traversé quelque chose dont elle ne sait pas très bien ce que c’est. C’est d’ailleurs aussi le cas de tous les personnages. Et de nous-mêmes.
Les survivants d’une époque qu’elle retrouve sont dans le constat d’un désenchantement, loin des certitudes de leurs 20 ans. Ils n’ont pas pour autant de regrets de leurs choix ou même de leurs crimes mais font le constat qu’ils ont changé ou que des choses ont changé.
Le lien au passé et aux morts qui nous habitent n’est pas mortifère. C’est la prise de conscience d’un mouvement.
Mouvement vers la mort, certes, et en cela le cinéma présente la mort au travail tandis que la photographie affranchit du temps, retenant les morts.
Mais c’est aussi un mouvement vital.
Dans le film il y a des morts, mais il y a aussi un avenir, notamment pour Elisa, et la dernière scène se passe dans un cimetière mais un cimetière baigné de lumière, avec pour horizon la mer. Je ne dénonce rien. Il y a peut-être des leçons à tirer mais ce n’est pas ma préoccupation. Je cherche à faire exister cette présence absence.
Le personnage plutôt que l’intrigue.
L’acteur plutôt que la caméra.
Le corps plutôt que la psychologie.
La photo venue du passé plutôt que le flash-back y retournant.
La voix autant que le visage.
Le hors-champ autant que le décor.
L’hypothèse que l’essentiel dans un film, c’est ce qui ne se voit pas.
Carlos Saboga