Des femmes et des hommes se perdent dans leurs pensées au hasard des heures du jour et des rues de la ville. De cette soudaine intimité, les murmures de leur petite voix intérieure nous laissent entendre les inquiétudes de l’amour.
Casting
Denis Lavant
Melvil Poupaud
Jean-François Stévenin
Jacques Nolot
Françoise Lebrun
Jacques Bonnaffé
Lise Lamétrie
Anne Azoulay
Mélodie Richard
Alice de Lencquesaing
Hovnatan Avédikian
Pauline Acquart
Rémy Adriaens
Équipe
Réalisation et scénario
Philippe Ramos
Produit par
Mathieu Deniau
et Philippe Grivel
(Studio Orlando)
et Gaël Teicher
Costumes, assistante à la réalisation
Marie-Laure Pinsard
Mixage
Philippe Grivel
Montage
Philippe Ramos
Une coproduction
Studio Orlando
La Traverse
Distribution
Alfama Films
Philippe Ramos
Propos de Philippe Ramos
Comment est né ce film ?
À Paris, j’aime observer les gens perdus dans leurs pensées. Souvent, je me demande quels mots viennent à leurs esprits ou quelles images apparaissent devant leurs regards si vagues. Je crois vraiment que le premier désir d’écriture des Grands Squelettes est né avec ces femmes et ces hommes soudain plongés dans une certaine forme de solitude. Montrer les fantômes qui les hantent, faire entendre leur petite voix intérieure est bientôt devenu une obsession.
Un scénario constitué uniquement de monologues intérieurs est, somme toute, assez atypique. Cela demande-t-il un travail d’écriture particulier ?
J’ai commencé par réunir toute une matière première en guise de source d’inspiration. Cette matière première était composée de trois éléments. D’abord, des photographies : des personnes perdues dans leurs pensées, des corps, des détails de la ville. Puis, du texte : des extraits de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Et enfin, des notes sur des expériences vécues par des personnes de mon entourage ou par moi-même. À partir de ces matériaux éparses, j’ai associé, de manière très intuitive, photographies, textes de Barthes et expériences de vies. Cela m’a aidé à imaginer des situations, à rêver des personnages. Imprégné de ces éléments, j’écrivais alors les pensées de ces hommes ou de ces femmes sous forme de monologues intérieurs. Je cherchais des phrases d’une grande simplicité. Je ne voulais rien d’ostentatoire, de très stylisé. Environ quarante monologues furent écrits sur des fiches. Pour élaborer le scénario, j’ai « monté » cet ensemble de fiches exactement comme on le ferait avec les séquences d’un film. In fine, un ordre a été trouvé et, seuls treize monologues ont été finalement conservés.
Les personnages des Grands Squelettes se livrent à une forme d’introspection qui peut rappeler celle du patient en psychanalyse. Quelle est votre place devant autant d’intimité dévoilée ?
Longtemps, j’ai cru préserver une distance avec mes personnages : je m’oubliais, je me consacrais entièrement à eux. Femmes, hommes, jeunes, vieux, homos, pas homos, peu importe ce qu’ils étaient ! À mes yeux, c’étaient simplement des êtres humains dont je voulais faire entendre l’intimité amoureuse. Ce n’était pas un travail facile, parce qu’il fallait chaque jour se plonger dans les pensées de gens chez qui je trouvais souvent des angoisses, des doutes, des tourments amoureux. En effet, dans les choix de photographies ou de fragments du texte de Barthes que j’avais sous les yeux, souvent ma main piochait celles et ceux qui disaient un désarroi plutôt qu’un apaisement ou du bonheur. Ainsi, j’accumulais des pages chargées de douleur en croyant simplement traduire la parole d’autres personnes que moi. Malgré des signes avant-coureurs, c’est seulement dans la salle de montage que je compris soudain que ce film m’avait entraîné sur un territoire bien sombre. Sans m’en rendre compte, j’étais descendu dans une cavité profonde où j’avais découvert des fantômes. Étaient-ce les miens ? Étaient-ce ceux de nous tous ? Je ne savais pas. Quoi qu’il en soit, regardant mes treize personnages sur l’écran, j’avais le sentiment que ces fantômes étaient désormais là, devant moi... Comme si, fabriquer ce film avait consisté à les extirper des ténèbres. Une inquiétante étrangeté émanait de tout cela... Et ce fut difficile à porter.
Nous retrouvons ici des acteurs de tous vos films...
Si pour travailler l’intime, il est préférable de travailler dans l’intimité, alors j’ai trouvé avec celles et ceux qui, de films en films, ont constitué à mes côtés une petite troupe de cinéma, toute la richesse et la confiance nécessaires à ce type de projet très personnel. Je pense à Anne Azoulay (Adieux Pays), Denis Lavant (Capitaine Achab), Melvil Poupaud ou Lise Lamétrie (Fou d’amour)... Ou bien Jacques Bonnaffé qui tourne avec moi pour la troisième fois ou encore Jean-François Stévenin pour la quatrième fois. Pour les acteurs que je n’avais encore jamais dirigés, j’ai essayé de m’approcher de ceux qui pourraient se fondre au mieux dans un travail intimiste... Jacques Nolot, cinéaste lui-même de l’autofiction, en est un exemple distingué et parfait.
Était-ce une volonté de départ de faire un film photographique ?
Non. Ce qui est étonnant dans l’histoire de la fabrication de ce film, c’est que, malgré une écriture inspirée directement de nombreuses photographies, jamais je n’avais imaginé que la mise en scène serait construite à partir d’images fixes ! C’est seulement après avoir achevé le scénario que j’ai soudain pensé extraire mes personnages de la vie en mouvement. Il me fallait ébranler la réalité, la démunir de ses vêtements si l’on veut, la montrer à nue, autrement. Si j’avais tourné ce film de manière classique, sur l’écran tout aurait été vivant, bruyant, nous aurions sans cesse été distraits par quelque chose dans l’image, par un son, par une musique, et cette intériorité radicale que je cherchais à montrer aurait fortement risqué de nous échapper. Au contraire, grâce à la douce immobilité que procure une mise en scène construite à base de photographies et une bande sonore extrêmement épurée, j’espère avoir atteint un territoire secret, un territoire invisible et silencieux : le monde de nos pensées, notre for intérieur.
Devant votre film on pense, évidemment, à La Jetée de Chris Marker...
Oui... Mais, en fait le film de Marker est très différent, beaucoup plus romanesque, beaucoup plus musical, très rythmé au montage, en quelque sorte beaucoup plus à la recherche du mouvement... Ce que, justement, je voulais fuir ! Donc, même si j’aime beaucoup ce film, ce n’est pas celui auquel j’ai forcément pensé. Quand j’ai imaginé faire un film photographique ce qui m’est revenu en mémoire en premier ce sont des scènes en images arrêtées de Méditerranée de Jean-Daniel Pollet ou encore ces splendides séquences de Sauve qui peut la vie où Godard joue avec le ralenti et l’image arrêtée. Leurs travaux me donnaient envie de me confronter à un film composé principalement d’images figées, ils m’encourageaient à assumer ce choix de mise en scène radical.
La bande sonore du film est très silencieuse. Pouvez-vous nous en parler ?
Je pense souvent à cette phrase de Robert Bresson : « Sois sûr d’avoir épuisé tout ce qui se communique par l’immobilité et le silence ». Ces mots ont toujours compté pour moi lorsque je travaillais sur mes films précédents. Aujourd’hui, ils prennent encore plus de valeur car, autour de nous, tout est saturé d’images, de sons, de paroles, de vitesse. Avec Les grands Squelettes, peut-être qu’épuisé de toute cette agitation, j’ai simplement voulu repartir de zéro, d’un endroit où les paroles ne seraient pas encore dialogue, où les bruits du monde seraient un temps oubliés, où le silence et l’immobilité reprendraient leurs droits et leur beauté.