D’où vient « A Jamais » ? D’un roman de Don DeLillo ?
Plus exactement, le film vient de la proposition par le producteur Paulo Branco, de porter ce livre, « The Body Artist », à l’écran. Je ne suis pas familier des livres de Don DeLillo (ni de la littérature actuelle en générale) mais j’ai été frappé immédiatement par la force du récit, des émotions qu’il mobilise —qui, pour le coup, m’ont paru familières.
Comment l’idée du film a-t-elle pris corps ?
Deux perspectives se sont ouvertes ensemble : d’une part, l’expérience de la séparation, de cette absence définitive qu’un deuil fait éprouver. Chacun sait ou saura ce qu’est c’est cette perte. D’autre part, la présence et l’absence, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ce qu’on entend ou non —ces figures sont le fond même du cinéma, de tout film, qu’on le veuille ou non. Ce que ce film expose entraîne nécessairement une idée précise de la mise-en-scène comme geste de montrer ou de cacher, ou les deux.
Ce que le film raconte, c’est d’abord l’expérience de cette jeune femme, Laura… Encore un « portrait de femme » ?
Si on veut, pourquoi pas ? En tout cas, c’est la tentative de représenter physiquement, c’est à dire en tout réalisme, un état mental qui tient du délire, celui d’une jeune femme qui perd l’homme qu’elle aime, et qu’elle s’acharne à faire revivre, pour elle-même, pour lui survivre. Quand je parle de « réalisme », c’est pour dire qu’il n’y a pas dans le film d’effets spéciaux d’aucune sorte. Tout ce qui est vu est donné comme visible, ce qui est entendu est donné comme audible, même à l’extrémité d’un délire. C’est un mode particulier du « revenantisme », du fantômal, avec cette idée que les vivants et les morts se partagent inséparablement la présence et l’absence.
Qui est Julia Roy, que vous avez choisie pour interpréter Laura ?
C’est plutôt elle qui m’a choisi ! Elle est une jeune actrice moitié autrichienne-moitié française, elle vivait à Vienne, étudiant et jouant, elle a décidé de venir à Paris par affinité avec le cinéma qui se fait en France. Elle s’est débrouillée pour le rencontrer et j’ai vite senti chez elle une force, une vérité rare. Je lui ai proposé, comme pour faire connaissance, de lire le livre, puis d’écrire un scénario d’après le livre, pour voir. J’ai vu qu’elle était absolument en phase avec le projet. Ce qu’on appelle la « direction d’acteurs (d’actrices) » prend parfois des détours inattendus…
Donc elle a écrit le scénario ?
Dans l’ensemble, oui, suivie par moi de près, mais oui, elle a écrit le scénario en supposant qu’elle allait interpréter cette Laura dont elle construisait le personnage.
Et Mathieu Amalric, qui interprète le « revenant » ?
Ça s’est décidé naturellement. J’avais filmé Mathieu dans La Fausse Suivante de Marivaux, je savais qu’il est un véritable aventurier cinématographique, avant même d’être spécifiquement l’acteur qu’il est. Tout ce qui sort de l’ordinaire du cinéma courant, l’intéresse et l’attire. Acteur ou réalisateur, discrètement, il se construit une filmographie exceptionnelle, exigeante, diverse et personnelle à la fois. Je lui voue estime et affection.
Est-ce que c’est un film hanté ?
Je crois, oui, à beaucoup d’égards. D’ailleurs, trouver le lieu du film était une condition impérative pour entreprendre la production. Il fallait tourner le film au Portugal, et nous avons trouvé au sud du pays une maison en ruines au bord de l’océan, que nous avons reconstituée pour en faire le lien mental visible de ce que vit Laura.
Quelles ont été les conditions du tournage ?
Préparé minutieusement, tourné rapidement, au Portugal donc, avec une équipe portugaise, remarquable, et mes collaborateurs les plus proches, Antoine Santana mon assistant, Julien Hirsch mon opérateur, très liés pour faire le film qu’on voulait voir.