En 1983, Serge Toubiana écrivait dans Le Cas Ruiz, son texte de présentation des Cahiers du Cinéma n°345, consacré à Raúl Ruiz : « Le cinéaste le plus prolifique de notre époque, dont la filmographie est ”presque” impossible à définir, telle est grande la diversité, la splendeur et la multiplicité de ses réalisations depuis plus de vingt ans ». Atteignant une reconnaissance internationale dans la fin des années 70, Raúl Ruiz s’est révélé l’un des cinéastes les plus enthousiasmants et innovateurs de son temps, faisant preuve d’une diversité intellectuelle et d’une expérimentation artistique plus riche qu’aucun autre cinéaste depuis Jean-Luc Godard.
Ruiz, après avoir soutenu le Gouvernement de Salvador Allende, a été forcé d’abandonner son pays pendant le coup d’état fasciste de 1973. Influencé par la tradition fabuliste qui parcourt une grande partie de la littérature latino-américaine (Gabriel García Márquez, Jorge Luis Borges et Alfonso Reyes), Ruiz est un poète d’images fantastiques dont les films glissent, sans effort, du réel à l’imaginaire et vice-versa. Manipulateur de jeux sauvages et intellectuels dans lesquels les règles sont toujours changeantes, les techniques de Ruiz sont aussi diverses que ses films. Dans cette Tour de Babel cinématographique où les langues, les langages et les formes vont main dans la main, se mélangeant, se disputant ou parfois s’harmonisant, nous reconnaissons les fondements d’une organisation d’images qui favorisent l’émergence d’un spectateur différent. Au cours d’une carrière extrêmement prolifique – plus de 100 films réalisés en 30 ans – ce touche à tout s’est penché aussi bien sur le documentaire que sur des œuvres de fiction, pour des sorties salles comme pour des télévisions européennes.
L’admiration pour l’œuvre de ce maître du cinéma naît aussi du génie avec lequel il accepte et concrétise, avec un mérite salué, des défis cinématographiques qui semblaient impossibles à beaucoup. Trois vies et une seule mort, dans lequel Marcello Mastroianni incarne trois personnages à la fois, Généalogies d’un crime, qui s’empare d’un sulfureux fait divers, Le Temps retrouvé, d’après le roman de Proust jugé inadaptable et les Mystères de Lisbonne, tourbillon feuilletonesque de près de 4h30, en sont de parfaites illustrations. Ces films permettent également de souligner l’aspect éminemment accessible et populaire que revêt le cinéma de Ruiz : en France, Le Temps retrouvé et Les Mystères de Lisbonne, malgré leur longue durée, ont réuni respectivement plus de 350.000 et 100.000 spectateurs.